L'agroécologie : des sols toujours vivants
L’agroécologie est un mode d’agriculture qui consiste à copier le fonctionnement de la nature c’est-à-dire à respecter le cycle du vivant.
Cela fait plus de 450 millions d’années que les plantes sont apparues sur la Terre et cela a abouti à la création d’immenses forêts. Or le paysan, lui, a du mal à faire pousser des cultures dans son champ : il laboure, il arrose, il irrigue, il enlève les mauvaises herbes, il apporte des engrais, bref il se donne beaucoup de mal et pourtant, ses cultures ne donnent pas toujours le rendement attendu, et pourtant, à plus ou moins long terme, il observe une baisse de la fertilité des sols, et pourtant, cela conduit même parfois à créer des déserts.
Alors quel est le secret des plantes ? Ce secret, c’est que les plantes font partie du cycle du vivant.
Le principe fondamental du cycle du vivant est que tout est recyclé. On peut résumer le fonctionnement du cycle du vivant en 3 étapes.
Première étape : les plantes poussent grâce à l’eau et aux éléments nutritifs que leurs racines extraient du sol.
Deuxième étape : les plantes sont, soit mangées par des animaux, soit leurs fleurs, leurs fruits, leurs feuilles, leurs branches, tombent sur le sol.
Troisième étape : tout ce qui est tombé sur le sol, les fleurs, les fruits, les feuilles, les branches, les crottes des animaux, les animaux morts eux-mêmes, tout ceci va être décomposé et digéré par les organismes qui vivent dans le sol, c’est le recyclage.
Et ce recyclage, cette décomposition en éléments de plus en plus petits va finalement libérer dans le sol les éléments que les racines des plantes pourront absorber et qui leur permettent de pousser. Et ainsi de suite : les plantes poussent, ensuite elles sont consommées ou meurent puis tout est recyclé, digéré par les organismes vivants du sol qui relâchent dans le sol les éléments nutritifs nécessaires aux plantes. Et ainsi de suite.
Donc le secret pour que les plantes poussent bien et en bonne santé, pour que la fertilité soit maximale, c’est que le sol soit le plus vivant possible afin qu’il puisse avoir cette fonction de recyclage qui libère les éléments nutritifs nécessaires aux plantes.
Alors quelles sont les conditions optimales pour qu’il y ait un maximum de vie dans un sol ?
Mais, avant de répondre à cette question, posons nous celle-ci : qu’est-ce qui est vivant dans le sol ? Qui vit dans le sol ? On pense tout de suite aux vers de terre. Oui, c’est vrai, il y a des animaux dans le sol mais surtout il y a des microbes, beaucoup de microbes, simplement on ne les voit pas à l’œil nu. Ces microbes, ce sont des champignons, des bactéries et, encore plus petits que les bactéries, des virus.
Mais, que l’on dise que les champignons sont des microbes invisibles à l’œil nu, c’est surprenant car les champignons, on peut les voir en forêt, mais ce qu’on voit alors, ce n’est que la partie émergée du champignon ; sous terre, le champignon forme un réseau de filaments très très fins.
Certains champignons, que l’on appelle les champignons mycorhiziens, vont s’attacher aux très fines racines de plantes et vivre en symbiose avec ces plantes. En symbiose, cela signifie que l’échange entre le champignon mycorhizien et la plante va être gagnant-gagnant : en effet, la plante va donner du sucre au champignon et le champignon, grâce à son réseau de filaments très développé, va apporter à la plante les éléments nutritifs présents dans le sol et dont la plante a besoin. Cet échange sucre apporté par la plante/éléments nutritifs apportés par le champignon se fait au niveau des minuscules racines qui sont en contact avec les minuscules filaments du champignon. Et cette symbiose, cet échange, permet à la plante d’avoir accès à des ressources bien au-delà de ses racines parce que le champignon, grâce à son réseau de filaments, est capable d’explorer le sol beaucoup plus loin que la plante avec ses seules racines.
Donc dans le sol il y a des microbes – les champignons, les bactéries, les virus – mais il y a aussi des animaux, même si les animaux représentent, en poids, plus de 3 fois moins que les microbes.
Parmi les animaux du sol, on a les vers de terre, les termites, les fourmis, il y a aussi des animaux beaucoup plus petits comme les collemboles et les nématodes, d’autres encore plus petits comme les acariens ou les vers et il y a des animaux microscopiques, que l’on ne peut pas voir à l’œil nu, comme les amibes par exemple.
Et pour que tout ce monde vive, pour que les microbes et les animaux vivent, il faut deux choses : de la nourriture et une maison en bon état.
La nourriture, c’est tout ce qui est sur le sol : ce sont les fleurs, les fruits, les feuilles et les branches, ce sont les crottes des animaux et aussi parfois des animaux morts eux-mêmes. Mais la nourriture c’est aussi les racines qui sont dans le sol, surtout les racines mortes. Tout ceci va être progressivement mangé, digéré, par les animaux et les microbes du sol.
Donc un sol à nu, un sol où la terre est apparente, un sol qui n’est couvert ni par des plantes, ni par des résidus de végétaux, c’est un sol qui ne nourrit pas ses habitants. Au contraire, un sol couvert par des plantes vivantes ou par des résidus végétaux, c’est un sol qui donne de la nourriture aux organismes vivant dans le sol. Les animaux et les microbes vont prospérer, vont se multiplier, devenir plus nombreux s’ils ont de la nourriture. Or tous ces organismes vivants évacuent leurs déchets sous forme d’urine. Les animaux du sol, les vers de terre, les amibes mais aussi les microbes, urinent. Et dans cette urine, on retrouve les éléments nutritifs nécessaires aux plantes qui vont pouvoir être absorbés par leurs racines. Donc plus le sol est vivant, plus il sera fertile.
Pour résumer ce premier point, on peut dire : “sol nu, sol foutu ; sol couvert, sol prospère”.
Mais au-delà de la nourriture, il faut aussi une maison en bon état pour tous ces animaux et ces microbes qui vivent dans le sol. Certains animaux vivent plutôt dans les 5 premiers cm du sol, d’autres dans la couche de terre jusqu’à 30 cm, d’autres encore beaucoup plus en profondeur, jusqu’à 1m de profondeur. Et donc, lorsque l’on retourne la terre, lorsqu’on laboure, lorsqu’on travaille la terre, on met en surface des organismes qui ont l’habitude de vivre dans un environnement humide et à l’abri du soleil, et donc on fait mourir ces organismes. Lorsqu’on retourne la terre, on met la maison sens dessus dessous. Ceux qui étaient près de la surface du sol se retrouvent en profondeur et ceux qui étaient en profondeur se retrouvent près de la surface du sol, ou même en surface à la lumière du soleil. Imaginez que l’on détruise le toit de votre maison et que l’on renverse tout à l’intérieur, cela ne vous plairait pas beaucoup ?
Alors pourquoi laboure-t-on les sols depuis des milliers d’années ? Pourquoi retourne-t-on la terre ? On va vous dire que c’est nécessaire pour ameublir le sol avant de semer car le sol est dur, c’est aussi pour l’aérer et peut-être également pour enlever les mauvaises herbes : on veut que le terrain soit “propre”. la terre nue, sans rien dessus, c’est propre. Nous aimons la propreté. Mais ce faisant, nous agissons contre la nature, nous tuons toutes les plantes sur le sol et nous tuons la vie dans le sol. Mais en plus, en retournant la terre, nous avons abîmé la structure du sol. Si l’on reprend la comparaison avec une maison, retourner la terre revient à abattre les cloisons entre les pièces et à casser la vaisselle. Un sol qui a une bonne structure c’est un sol où la terre se tient bien. Une expérience simple pour juger de la qualité de la structure d’un sol est de prélever une motte de terre et de la mettre dans un récipient plein d’eau. Si la motte de terre reste bien agglomérée, cela montre que le sol est bien structuré, c’est un sol vivant. Mais si rapidement la motte se désagrège et la terre tombe au fond, alors c’est que ce sol n’a pas une bonne structure, il n’est pas assez vivant.
Quand un sol est vivant, il est meuble, il est aéré et il est capable de retenir l’eau. Alors pourquoi ? D’abord parce qu’un sol vivant est plein de trous. Ces trous, ils sont faits par les animaux qui se déplacent dans le sol, des trous faits par les les vers de terre ou les nématodes qui circulent, mais aussi des trous minuscules laissés par les amibes. Et en plus, sur les parois des trous, et c’est le deuxième facteur, les animaux laissent un mucus qui est comme de la colle, un mucus comme en laisse un escargot ou une limace qui se déplace. Il y a aussi les trous laissés par les racines et les filaments des champignons. Une fois que les racines et les champignons meurent, de l’eau ou de l’air peuvent s’y infiltrer. Ainsi, 1 m² de sol non perturbé, non travaillé, non retourné, peut retenir entre 50 et 400 litres d’eau. L’eau de pluie est alors stockée dans le sol au lieu de ruisseler et, en ruisselant, d’entraîner de la terre. Ainsi, lorsque le sol est vivant, il est suffisamment meuble pour que l’on puisse creuser un sillon et déposer des graines sans avoir à retourner la terre au préalable.
En résumé, pratiquer l’agroécologie, c’est pratiquer une agriculture avec des sols toujours couverts pour nourrir le sol et des sols non travaillés pour préserver la maison des organismes vivant dans le sol. On permet alors aux animaux et aux microbes du sol, par leur action de recyclage, de libérer les éléments nutritifs nécessaires aux plantes, mais aussi de rendre le sol à la fois aéré et capable de retenir l’eau de pluie.
Des agriculteurs dans le monde entier mettent en œuvre ces pratiques, sur de petites surfaces de moins de 1 hectare comme sur des fermes de plusieurs centaines d’hectares, et ceci en Europe mais aussi en Amérique du Nord, au Brésil ou en Australie par exemple. Cela peut s’appeler l’agroécologie, l’agriculture de conservation des sols, l’agriculture régénérative, dans tous les cas, le principe est le même : développer la vie dans les sols.
Source : La vie du sol souterrain constructrice du carbone du sol, par Marc-André Sélosse, professeur du Muséum national d’histoire naturelle à Paris https://www.youtube.com/watch?v=IlcttvUv62g