Transition vers des sols vivants
Les mauvaises herbes
Les clés pour rendre un sol vivant
Gérer les mauvaises herbes
Transition vers des sols vivants
Comment rendre un sol vivant ? Comment rendre un sol si vivant qu’il ne soit plus nécessaire de le travailler, de le labourer, de le retourner ?
Pour avoir un sol vivant, il faut nourrir ce sol avec des déchets végétaux. On peut classer les déchets végétaux en trois grandes catégories : d’une part les déchets verts comme les feuilles fraîches, l’herbe de tonte, les mauvaises herbes coupées, d’autre part les déchets jaunes comme la paille ou les tiges de maïs, enfin les déchets marron que sont les branches des arbustes et des arbres.
Tous les déchets végétaux ne contiennent pas la même quantité d’énergie. On le voit bien si on les brûle : lorsque l’on brûle du bois, cela dégage beaucoup plus de chaleur que de brûler de la paille, et encore plus comparé à brûler des herbes. Donc les déchets végétaux marron ont plus d’énergie que les déchets jaunes qui ont eux-mêmes plus d’énergie que les déchets verts.
De l’énergie, il va falloir en apporter au sol pour que la population des organismes vivant dans le sol se développe. Donc, si on veut développer la vie dans un sol, il faut lui apporter des déchets végétaux marron ou jaunes en quantité suffisante. Les questions qui se posent alors sont : premièrement “Quelle quantité de déchets végétaux apporter ?” et deuxièmement “Comment intégrer ces déchets végétaux au sol ?”.
La quantité à apporter au sol va dépendre de l’état du sol, déjà plus ou moins vivant, plus ou moins compacté, avec déjà une bonne quantité de vers de terre ou au contraire très peu de vers de terre.
A titre d’exemple, voici ce que recommande François Mulet du mouvement “Pour une Agriculture du Vivant” qui a développé en France des méthodes pour faire du maraîchage sur sol vivant. François Mulet indique que pour réellement améliorer un sol, il faut étaler sur ce sol une couche de broyat de bois d’une épaisseur de 5 cm et mélanger, intégrer ce broyat de bois dans les 10 premiers cm de terre.
Le broyat de bois va se décomposer sous l’action de la chaleur et de l’humidité, favorisant ainsi le développement de champignons, de bactéries et des petits animaux vivant dans le sol. On peut utiliser de la paille à la place du broyat de bois mais alors il faut en mettre une couche de 25 à 50 cm, ce qui est vraiment beaucoup.
François Mulet recommande de mélanger le broyat de bois à la terre lorsque l’on fait un apport massif de broyat et qu’il y a peu de vers de terre dans le sol. En revanche, s’il y a déjà une bonne quantité de vers de terre, on peut laisser les 5cm de broyat en surface et les vers de terre se chargeront d’intégrer le broyat décomposé à la terre.
Pour bien se décomposer, le broyat de bois a besoin de chaleur et d’humidité. Donc il faut tenir compte du climat pour savoir à quel moment faire un apport. En zone tropicale, on fera cet apport au début d’une saison des pluies.
Si le sol est vraiment dégradé, il sera peut-être nécessaire de refaire des apports importants de broyat de bois les années suivantes. Mais, même lorsque le sol sera devenu bien vivant, il faudra de toute façon continuer à apporter du broyat de bois tous les ans pour bien nourrir les organismes vivant dans le sol et en particulier les vers de terre. François Mulet évoque comme ordre de grandeur un apport chaque année de 1 à 2 cm de broyat de bois ou encore 5 à 10 cm de déchets végétaux jaunes comme la paille ou les tiges de maïs.
L’apport massif de broyat de bois va provoquer, à plus ou moins long terme, l’explosion de la population des vers de terre. En France, on a pu observer que les vers de terre devenaient chaque année jusqu’à 10 fois plus nombreux si l’apport de nourriture était suffisant. Donc si il y a par exemple 10 kg de vers de terre dans un champ de 1 hectare et qu’on leur apporte suffisamment de nourriture, il peut y en avoir 10 fois plus soit 100kg au bout d’un an et encore 10 fois plus soit 1 000 kg c’est-à-dire 1 tonne au bout de 2 ans. En maraîchage sur sol vivant, il est courant d’avoir 3 tonnes de vers de terre à l’hectare.
Mais pourquoi ces vers de terre sont-ils si importants au point que l’on dise que la première tâche d’un paysan devrait être de cultiver des vers de terre ?
Les vers de terre sont des alliés formidables car ils vont à la fois structurer le sol et y apporter de la fertilité. Alors comment font-ils ?
Les vers de terre mangent des débris végétaux déjà décomposés et ils les absorbent avec de la terre pour mieux les digérer. Ils broient et ils mélangent ces débris végétaux et la terre dans leur intestin pour en extraire les microbes, car ce sont les microbes qui les intéressent, ce sont les microbes dont ils se nourrissent. Après digestion, ils rejettent donc dans leurs crottes, crottes que l’on appelle des turricules, un mélange de débris végétaux et de terre. Des microbes vont se développer dans ces turricules et, au bout de quelques jours, les vers de terre vont manger leurs turricules pour en extraire les microbes. Et ils feront de nouvelles crottes, de nouveaux turricules où les débris végétaux et la terre sont encore mieux mélangés. De plus, comme toutes les crottes, les crottes des vers de terre sont collantes. Donc les vers de terre contribuent à transformer la terre en un sol qui se tient, un sol qui ne se désagrège pas sous l’effet du vent ou de la pluie.
Pour donner un ordre de grandeur, un ver de terre mange environ son poids par jour si les conditions d’humidité sont satisfaisantes. Supposons que l’on ait 2 tonnes de vers de terre dans un champ de 1 hectare. Au bout d’un an, les vers de terre auront remanié 2 tonnes de terre chaque jour pendant 365 jours soit 730 tonnes de sol et, au bout de 5 ans, ils en auront remanié 5 fois plus soit 3 650 tonnes de sol, ce qui correspond à l’ensemble du champ sur une profondeur de 25 à 30 cm.
Donc, en ingérant ainsi toute la terre du champ, les vers de terre mélangent et agglomèrent les débris végétaux de façon intime avec la terre. Mais ils font mieux que cela car dans leurs déplacements ils font des trous, des trous qui permettent à l’air de pénétrer, des trous qui permettent à l’eau de s’infiltrer, des trous qui permettent aux racines des plantes de se développer. Et sur la paroi de ces trous, les vers de terre déposent leur mucus qui est collant, comme la bave d’un escargot ou d’une limace. En effet, les vers de terre respirent par la peau. Il est vital pour eux que leur peau reste toujours humide pour pouvoir respirer. Le ver de terre fabrique donc ce mucus à la surface de sa peau, un mucus qui sèche beaucoup moins vite que l’eau et qui lui permet à la fois de respirer et de glisser dans le sol.
Le mucus qui tapisse les trous laissés par les vers de terre structure le sol : s’il pleut, l’eau glissera à l’intérieur du trou sans que les parois du trou ne s’affaissent.
Mais en plus, le mucus du ver de terre contient des éléments nutritifs pour les plantes. En fait, les vers de terre relâchent des éléments nutritifs pour les plantes, non seulement dans leur mucus mais aussi dans leur urine. Ainsi, le sol remué par les vers de terre devient de plus en plus fertile.
Attention toutefois car dans les premiers mois de la transition, il y aura plutôt une baisse de fertilité. En effet, l’apport massif de déchets végétaux dans un sol qui n’est pas encore très vivant va faire se multiplier les organismes vivants du sol. Leur population va augmenter fortement et, ce faisant, ces organismes vont capter les ressources disponibles dans le sol et vont concurrencer les cultures. Deux options sont alors possibles face à cette baisse de fertilité :
- Soit on ne cultive pas pendant quelques mois : on fait un apport massif de broyat que l’on mélange à la terre et l’on couvre avec une bâche.
- Soit l’on souhaite cultiver sans attendre : on fait alors un apport massif de broyat que l’on mélange à la terre et on apporte aussi des déchets verts ou compost ou du fumier qui vont libérer rapidement de la fertilité. Ces apports complémentaires vont compenser les ressources consommées par les organismes vivants du sol qui se développent beaucoup. On choisira également des cultures adaptées à ce sol en construction, par exemple des courges ou des tomates qui ont des racines puissantes.
Une fois que le sol est devenu bien vivant, pour qu’il reste vivant, il y a 3 principes à respecter : toujours le couvrir, bien le nourrir en permanence et, ne pas le travailler.
Principe n°1 : toujours le couvrir. Cela signifie que le sol ne doit jamais être à nu, toujours couvert soit par des plantes vivantes, soit par des déchets végétaux.
Principe n°2 : bien nourrir le sol en permanence :
- Pour nourrir le sol, on va récolter uniquement la partie de la plante dont on a besoin et on remet sur le champ tout le reste, les tiges de maïs, les épluchures de manioc, les coques d’arachide, tout le reste.
- Pour nourrir le sol, on va faire des apports réguliers de broyat de bois. Ce bois, on peut le trouver en forêt mais le plus simple est de l’avoir dans le champ ou autour du champ en plantant des arbres et des arbustes que l’on taillera régulièrement. D’ailleurs, lorsque l’on taille un arbre, certaines de ses racines meurent et ces racines mortes sont aussi de la nourriture pour le sol.
- enfin, pour nourrir le sol, on pourra, entre deux périodes de cultures, semer des plantes qui serviront à couvrir le sol, plantes que l’on détruira ensuite, que l’on écrasera et qui nourriront le sol en se décomposant. Même en saison sèche les plantes peuvent pousser car elles captent l’eau présente dans l’air.
Principe n°3 : ne pas travailler le sol pour ne pas détruire la maison des vers de terre et des autres organismes vivant dans le sol.
Pour finir, un conseil pour réussir cette transition vers des sols vivants : chaque contexte est particulier qui dépend du climat, de l’environnement et de l’historique du champ, de la composition et de la texture du sol. Aussi chaque paysan, chaque paysanne doit adapter les principes de nourrir le sol, de couvrir le sol et de ne pas le travailler à sa situation propre. On peut faire d’abord un essai sur un bout de son terrain. Le mieux est d’ailleurs de faire des essais à plusieurs, de constituer un groupe où chaque membre du groupe va expérimenter sur une partie de son champ ; puis le groupe échange sur les pratiques pour voir ce qui a le mieux fonctionné.
Sources :
Les fondamentaux du Maraîchage Sol Vivant, par François Mulet
https://www.youtube.com/watch?v=3Nh14YIVuss&t=2414s
François Mulet – Écologie des vers de terre & reconstruction de la fertilité des sols
Les mauvaises herbes
Dans la nature, la monoculture n’existe pas. Vouloir faire pousser une seule espèce de plante dans un espace donné et qu’autour la terre soit nue, propre, débarrassée de toute autre plante, c’est une une lubie de l’homme.
Dans la nature, il y a toujours plusieurs plantes qui poussent au même endroit, sous l’effet de la compétition entre les plantes ou au contraire par effet symbiotique c’est-à-dire d’aide mutuelle entre les plantes. Alors comment s’étonner que des plantes non désirées poussent à côté de nos cultures, ces plantes que l’on appelle des mauvaises herbes ?
Tout d’abord ces mauvaises herbes ne sont pas si mauvaises, bien au contraire. C’est vrai qu’elles peuvent être envahissantes et faire de la concurrence à nos cultures. Mais si elles poussent à cet endroit précisément et à ce moment-là précisément, c’est pour une bonne raison : c’est pour rétablir l’équilibre du sol et favoriser le vivant. C’est ce qu’a montré Gérard Ducerf, un botaniste français exceptionnel, autodidacte, ancien éleveur de vaches, qui a répertorié plus de 750 plantes et documenté les conditions qui les font apparaître.
Gérard Ducerf explique que le sol contient des milliards de graines en dormance. En dormance, cela signifie qu’elles sont dans le sol mais qu’il ne se passe rien, elles ne germent pas. Et cela peut durer des années, des dizaines d’années, des centaines d’années. Mais, à un moment, les conditions climatiques, l’état du sol, le choc contre un outil, vont faire que certaines graines vont se mettre à germer puis les plantes à pousser : cela s’appelle la levée de dormance. Donc, lorsque des mauvaises herbes poussent dans son champ, il faut se dire que c’est pour une bonne raison, par exemple le sol est trop compacté ou en excès d’eau ou en manque d’eau, ou en excès de fertilisant d’origine animale, ou par manque de vie dans le sol, les raisons peuvent être multiples. D’une certaine façon, ces mauvaises herbes nous parlent et si on sait les comprendre, elles nous permettent d’établir un diagnostic sur l’état du sol. C’est pourquoi on les appelle des plantes bio-indicatrices.
Donc des graines peuvent lever leur dormance parce qu’en labourant, parce qu’en retournant le sol, on a ramené vers la surface des graines qui auraient dû rester tranquillement en profondeur. Finalement, labourer le sol, retourner le sol pour désherber, cela revient à semer des mauvaises herbes. Nous provoquons alors nous-mêmes ce que nous voulions éviter.
Alors que faire lorsque l’on a des mauvaises herbes dans son champ ?
1° On les remercie pour le travail de rééquilibrage du sol qu’elles ont entrepris.
2° On se dit que les mauvaises herbes doivent être contrôlées mais non éliminées. Il est normal et sain qu’il y ait quelques mauvaises herbes.
3° Si les mauvaises herbes deviennent envahissantes et concurrencent nos cultures, on va les détruire. Dans la mesure du possible, on attendra leur floraison avant de les détruire. Ensuite on les détruira en les écrasant, en les piétinant et en les blessant au lieu de les couper. En effet, la plante après floraison ne cherche plus à grandir : étant blessée, elle va dépenser son reste d’énergie à chercher à se réparer, ce qu’elle n’arrivera pas à faire et elle finira par mourir. Alors que si on coupe la plante, elle va repartir. Ces mauvaises herbes ainsi écrasées vont constituer une couverture du sol qui permet de retenir l’humidité, de faire baisser la température au sol lorsqu’il y a beaucoup de soleil et enfin de nourrir la vie du sol en se décomposant. Et plus la couverture sera épaisse, mieux cela sera.
Mais l’objectif est bien de parvenir à un contrôle naturel des mauvaises herbes et d’arrêter le désherbage. Pour atteindre cet objectif, il convient d’arrêter de labourer ou retourner la terre, de bien nourrir le sol et de le couvrir en permanence, ceci pour que le sol soit vivant. Voici quelques exemples de stratégies adoptées par des agriculteurs :
- Faire des rotations de cultures de façon à ne pas toujours cultiver la même culture au même endroit. Si on change de culture, la quantité de mauvaises herbes diminue et ce seront d’autres mauvaises herbes qui apparaîtront avec la culture suivante, moins envahissantes.
- Anticiper en semant la culture suivante alors que la culture en place n’a pas encore été récoltée. Ainsi, lorsque l’on fera la récolte de la culture en place, les graines de la seconde culture auront commencé à germer et prendront la place des mauvaises herbes qui sinon auraient poussé.
- Laisser le maximum de déchets végétaux dans le champ pour le nourrir et le couvrir, et faire des apports complémentaires de broyat si nécessaire. Un paillage significatif juste après la récolte va limiter la germination des mauvaises herbes.
- Semer des plantes qui vont couvrir le sol comme du trèfle blanc en accompagnement de ses cultures
- Semer des couverts végétaux entre deux périodes de culture pour ne jamais laisser le sol à nu et pour le nourrir. On écrasera ensuite ces couverts pour les détruire.
- Associer différentes cultures dans un même champ. Cela consiste à faire pousser côte à côte des cultures dont on sait qu’elles sont complémentaires. Par exemple on associera la culture des courgettes et celle du maïs avec 4 plants de maïs entre 2 plants de courgettes. Les courgettes vont tapisser le sol et le maïs va pousser au-dessus des courgettes sans les pénaliser, pouvant même leur apporter un peu d’ombre ce qui favorisera leur croissance s’il fait très chaud.
[distance entre les plants de maïs : 20cm ; distance entre les plants de courgettes : 90 cm]
Mais il y a bien d’autres associations possibles comme par exemple le manioc avec le haricot n’kassa, les épinards au pied des tomates ou, en grandes cultures, le maïs avec un couvert de trèfle.
Un avantage non négligeable des cultures associées est qu’il augmente le rendement global des cultures : en reprenant l’exemple de l’association courgettes/maïs, si on ne cultive sur une parcelle que du maïs et sur une autre parcelle que des courgettes, on obtiendra une production inférieure à celle obtenue en cultivant le maïs et les courgettes associés sur les 2 parcelles.
Donc, arrêt du travail du sol, rotation de cultures, semis avant récolte, paillage, semis de couverts végétaux, associations de cultures, voilà les techniques que vous pouvez mettre en œuvre pour contrôler les mauvaises herbes.
Si le sol de votre champ est très compacté, il faudra probablement une période de transition avant d’arrêter le travail du sol comme expliqué dans mon audio sur la transition agroécologique.
Faites des essais sur une partie du champ. Observez et comparez les résultats avec ceux obtenus par vos méthodes habituelles de culture. Et l’idéal est de faire des essais à plusieurs, chaque agriculteur expérimentant dans son champ, puis partagez vos idées, vos observations et vos résultats.
Sources :
Plantes bio-indicatrices – Gérard Ducerf
https://www.youtube.com/watch?v=PlGDnVqUtB8
La révolution d’un seul brin de paille, de Masanobu Fukuoka
Ferme naturelle de Shizen – Les principes du laisser-faire
https://www.naturalfarmshizen.org/principles-of-natural-farming